Mesurer la pollution de l’air sur un vaste territoire, surveiller des zones à risque, inspecter des infrastructures ferroviaires… autant d’opérations généralement réalisées par des aéronefs avec pilote, ce qui les rend très coûteuses. Proposer une solution plus économique et également plus écologique, en mettant au point des drones autonomes à longue endurance, telle était l’ambition du consortium ELCOD. Renaud Kiefer, enseignant-chercheur à l’INSA Strasbourg, Thomas Pavot et Martin Lefebvre doctorants, ont conçu le drone « Stork », qui sera capable à terme de transporter une charge utile de 5 kilos sur un rayon d’action d’environ 500 km.
Le drone autonome à grande endurance, une solution pour réduire le coût et l’empreinte carbone d’un large panel de missions
En juin et juillet 2022, un avion transportant de nombreux instruments scientifiques a survolé la région parisienne à basse altitude, afin d’étudier le panache de pollution de la capitale à différentes distances. Ce laboratoire volant du CNRS a effectué 13 vols, pour un total de 50 heures. Ce type d’opération, qui permet de récolter de nombreuses données, est très coûteuse. Le drone autonome représente une solution d’avenir pour étudier la pollution atmosphérique : en transportant des capteurs sur une longue durée de vol, un drone pourrait permettre de réaliser des analyses de la composition de l’air de manière plus économique et plus écologique.
Dans la région du Rhin supérieur, des drones de grande endurance seraient particulièrement utiles pour la réalisation d’opérations variées : observation du Rhin, surveillance des frontières, surveillance et mesures lors d’incendies, collecte de données pour l’amélioration des cultures… De nombreuses applications seraient susceptibles de bénéficier de la technologie d’un drone à large rayon d’action.
Une pile à combustible et un biomatériau à base de fibres de lin pour un drone performant et éco-conçu
L’équipe de l’INSA Strasbourg a conçu le drone « Stork », capable de transporter de petites charges sur de très longues distances. Il a l’allure d’un planeur, et a été baptisé du nom anglais de l’emblématique oiseau migrateur de la région alsacienne (stork signifie cigogne). Renaud Kiefer et son équipe ont successivement travaillé sur le dimensionnement du drone, la conception du prototype, l’intégration de capteurs de pollution (en partenariat avec le laboratoire ICPEES du CNRS) et l’étude de la faisabilité de solutions innovantes. L’équipe à également collaboré avec la Hochschule Offenburg pour le développement de ce projet.
Le drone « Stork » repose sur deux innovations : une source d’énergie hybride intégrant une pile à combustible et un biomatériau composite à base de fibres de lin. C’est Thomas Pavot qui a travaillé sur l’hybridation de l’énergie, en combinant une pile à combustible, une batterie lithium polymère et un supercondensateur. « La pile à combustible va apporter la longue endurance, mais elle n’est pas capable de fournir des pics de puissance. Pour le supercondensateur, c’est l’inverse. L’idée c’est de créer une source hybride idéale, qui va avoir les avantages de chacun », explique Thomas Pavot. Des convertisseurs permettent de lier ces composants et d’assurer le fonctionnement global du système. « Tout le but de ma thèse, c’est de développer un algorithme de gestion d’énergie pour contrôler les convertisseurs, de façon à choisir comment on dispatche l’énergie entre les trois sources pour maximiser l’autonomie », précise le doctorant. Au-delà des aspects énergétiques, le drone « Stork » se distingue aussi sur le plan mécanique. Martin Lefebvre a réalisé une étude théorique sur les performances de la fibre de lin dans le cadre de sa thèse. « Martin a calculé le nombre de couches de tissu qu’on doit mettre en place pour concevoir une aile en matériaux composites biosourcés à base de fibres de lin et de résine recyclable, et a comparé ses caractéristiques par rapport aux matériaux à base de fibres de verre et époxy. Les performances mécaniques sont similaires, mais le lin amortit mieux les vibrations », note Renaud Kiefer. Ce biomatériau permettrait donc de remplacer les actuels matériaux pétrosourcés.
Le futur du drone « Stork » : des partenariats déjà noués et plusieurs pistes de perfectionnement
Un nouveau projet va être déposé pour prendre le relais d’ELCOD. Une des prochaines étapes consistera à intégrer la source d’énergie hybride au drone, dont le fuselage a été conçu autour de la pile à combustible et de son réservoir. « Un deuxième volet concernera la mesure de la pollution. L’idée, c’est que le drone puisse suivre un nuage de fumée afin d’évaluer la pollution générée par des incendies (forêts ou sites industriels), en adaptant automatiquement sa trajectoire en fonction des données récoltées par les capteurs. Il faut rester en bordure de nuage, et non en plein milieu, pour éviter que les capteurs saturent » explique Renaud Kiefer. Des partenariats sont déjà noués avec les pompiers français du SIS 67 et les pompiers allemands, ainsi qu’avec ATMO Grand Est et ses homologues allemands et suisses.
Plusieurs pistes d’amélioration sont également envisagées pour rendre le drone encore plus écologique. « On souhaite ajouter des capteurs solaires sur les ailes. Sur la surface du drone, on peut gagner au maximum 100 watts, ça peut être un plus pour alimenter l’électronique, et pour gagner des minutes de vol. On consomme 400 watts en régime de croisière, donc c’est un apport non négligeable », précise Renaud Kiefer. « On peut aussi optimiser la durée de vol en exploitant les ascendances thermiques de façon autonome. Le drone rentre tout seul dans le thermique. Comme « Stork » a une voilure typée planeur, c’est une piste qui permettrait de monter en altitude en économisant l’énergie électrique ». De quoi rendre cette « cigogne » d’un nouveau type toujours plus performante.
Le projet ELCOD (pour “Endurance Low COst Drone », soit “Drone à longue endurance et à bas coût”), initié en avril 2017, a pris fin en décembre 2020. Cofinancé par l’Union européenne dans le cadre du programme Interreg V Rhin Supérieur et par les partenaires régionaux français et allemands de l’initiative “Offensive Sciences”, il a réuni trois partenaires académiques : la Hochschule Offenburg, l’INSA Strasbourg et le CNRS. Divers partenaires industriels ont également pris part au projet. Le dispositif Offensive Sciences: fort de son succès, le dispositif est amené à être reconduit pour la période 2021-2027, pour laquelle deux appels à projets sont prévus. Capitalisant sur le dynamisme de la coopération scientifique transfrontalière, les partenaires co-financeurs de l’Offensive Sciences souhaitent désormais soutenir le transfert et la valorisation des résultats de la recherche publique et renforcer l’influence positive des travaux scientifiques sur les entreprises et la société, au service du développement économique, social et environnemental de la Région Métropolitaine Trinationale du Rhin supérieur. Le quatrième appel à projet de l’Offensive Sciences est désormais lancé depuis le janvier 2023 (clotûre le 24 mars) et met l’accent sur le transfert de connaissances et de technologie tout en contribuant à la réalisation des objectifs de la Région Métropolitaine Trinationale du Rhin supérieur (RMT). Toutes les informations sur le dispositif sont disponibles sur le site internet du Pilier Sciences.